Les circuits commerciaux, aux Philippines, sont totalement organisés au profit des grandes compagnies et de leurs grossistes : le détaillant, le sari-sari store de quartier, n'a droit qu'à des miettes qui ne lui permettent pas de survivre.
Je m'explique : lorsque vous achetez une bouteille de bière, un shampoing, ou de café, le prix de détail est déjà imprimé sur le paquet ou sur la capsule...
Le prix est sur l'emballage |
Le prix est imprime sur les capsules |
Oh bien sûr, personne ne vous impose un prix de vente, mais le prix est imprimé sur le produit et vous pouvez être certain que le sari-sari voisin, dont le propriétaire ne fait jamais ses comptes, va pratiquer ce prix indiqué (c'est pratique, pas besoin de réfléchir...).
Ces prix sont également annoncés à la télévision par le producteur dans ses publicités.
Donc, si vous-mêmes, qui faites vos comptes et calculez vos prix de ventes, en incluant votre salaire, le transport, l’électricité, le loyer, etc... et une petite marge bénéficiaire, toute petite... vous vous rendez vite compte qu'en vendant au prix indiqué, vous perdez de l'argent tous les jours.
Mais si vous ne vendez pas au prix indiqué les clients iront chez le voisin et vous ne vendrez rien !
Attention, lorsque le prix commence à disparaître des capsules de bière et des emballages de produits, c'est que le fabricant prépare une augmentation de ses prix !
San Miguel |
Mais sitôt l'augmentation pratiquée, les prix de détail sont à nouveau imprimés sur les produits.
Et je peux témoigner que les grandes compagnies s'en fichent complètement : pour un sari-sari qui disparaît, il va s'en créer dix autres... alors a quoi bon protéger le circuit des distributeurs de détail !!!
Attendre que le voisin ait fait banqueroute, ça ne sert à rien : à peine fermé, il va s'en remonter un autre... qui va tenir le coup un an ou deux et puis fermer aussi...
Donc, si vous voulez générer des profits acceptables dans votre sari-sari store, il vous faut trouver l’idée qui va vous permettre d'attirer le client et de faire de la marge...
Lorsque je me suis rendu compte de cela, j'ai envoyé un mail à un certain nombre de compagnies : San Miguel, Tanduay, Asia Brevery, etc...
Huit jours plus tard, le directeur commercial de San Miguel pour Mindanao débarque à Mauswagon désirant me rencontrer.
Ma Pinay était toute tremblante : comment as-tu osé déranger des gens si importants ?
Après une heure de discussion sur mes doléances a propos des marges, ainsi que mes projets, il m'a fait une proposition : devenir sous-distributeur San Miguel pour tous les barangay de Laguindingan, entre Mauswagon et le futur aéroport, qui ne sont pas actuellement desservis par le distributeur officiel (j'ai compris pourquoi : ce distributeur m'a dit plus tard qu'il perdait de l'argent sur ce secteur).
San Miguel m'offrait 6 pesos par caisse de San Miguel, avec obligation d'achat minimum de 50 caisses/semaine.
Avec ces six pesos par caisse, je devais :
- construire un entrepôt à leurs normes,
- acheter un camion pour les livraisons,
- embaucher un chauffeur et un manutentionnaire pour les livraisons,
- et bien évidemment financer les charges afférentes a tout cela (Gazole, garde pour l’entrepôt, électricité, téléphone, taxes, etc...).
Acheter un camion de livraison |
Après enquête, je peux dire que ces 6 pesos sont une pratique concertée et personne ne vous donnera davantage... au moins sur Mindanao (ailleurs, je ne sais pas).
Je vous avoue que j'ai eu grande envie de lui mettre mon pied la où je pense et de le sortir sans ménagement de mon sari-sari store.
Mais je suis resté très "asiatique" et je n'ai pas bronché...
J'ai donc négocié : ils me donnent les 6 pesos/caisse dès maintenant, mais sans minimum d'achat et abandonnent les autres conditions, lui disant que j'avais d'autres idées pour arriver au même résultat.
Il faut savoir que la technique ou les habitudes du distributeur, ici, c'est d'envoyer un camion plein avec chauffeur, encaisseur et manutentionnaire qui va faire le circuit complet de tous les sari-sari de son secteur pour leur proposer la marchandise, et cela, une ou deux fois par semaine.
Les corollaires :
- c'est qu'il faut de gros camions pour pouvoir emporter suffisamment de marchandises,
- que les sari-sari en fin de circuit sont rarement servis car le camion est vide, d’où une perte de ventes...
- qu'entre deux passages, si le sari-sari a vendu toute sa marchandise, il perd aussi des ventes, car il ne sera pas réapprovisionné avant le prochain passage.
J'envisageais, quant à moi, d'organiser une prise de commande par téléphone avec livraison le lendemain, au plus tard.
L’intérêt, vous l'avez compris, c'est que d'une part, un petit véhicule de livraison devenait suffisant, je pouvais organiser moi-même les livraisons ce qui m’évitait d'embaucher et enfin me permettait d'effectuer ma commande au distributeur le soir, en fonction des commandes téléphoniques reçues dans la journée, et le sari-sari était content : pas besoin d'attendre le prochain passage pour être livré.... (je précise, pour la compréhension, que si les détaillants sont livrés une ou deux fois par semaine, les distributeurs, eux, sont livrés a la commande).
Le directeur commercial San Miguel a semble-t-il trouve l’idée géniale et est reparti satisfait en ayant donné les consignes au distributeur principal de me consentir les 6 pesos/caisse dès maintenant.
Mais, de mon coté, je savais que ces 6 pesos/caisse, même s'ils étaient bons à prendre ne me permettraient pas de marger suffisamment pour avoir un sari-sari vraiment viable : il fallait que je trouve autre chose.
Et l’idée est venue toute seule : entre temps, j'avais acheté un gros réfrigérateur-congélateur pour fabriquer de la glace, très demandée par les consommateurs et surtout les pêcheurs du village pour conduire leur pêche aux marchés des villages voisins.
offrir une bière bien fraiche |
Tout naturellement, je remplissais le réfrigérateur de bouteilles de bière, pour offrir a la vente de la bière fraîche, ce qui me permettait de la vendre au-delà du prix indiqué sur la capsule.
Je me suis vite rendu compte que j’étais le seul du village a vendre de la bière fraîche et les clients commençaient a affluer réclamant, en outre, un endroit agréable pour consommer sur place : j'avais, à cote du sari-sari ce qu'ils appellent un "kamaleg", sorte de petite hutte rudimentaire, avec juste un toit et des bancs autour d'une table que j'ai mis à leur disposition pour consommer.
Un kamaleg pour consommer a l'abri |
Il est rapidement devenu insuffisant et il a fallu que j'en fasse construire d'autres.
Il a fallu que j'en construise d'autres |
Mais surtout, ça m'a permis de marger enfin correctement sur la bière et le Tanduay : je pouvais vendre une bouteille d'un litre de Red Horse a plus de 100 php.
Et cela s'est répandu très vite dans les autres barangay a proximité, de sorte qu'au bout de quelques semaines, je fournissais les sari-saris de mon secteur San-Miguel, sans avoir à acheter de camion ni embaucher qui que ce soit : lorsqu'ils avaient des clients pour la San Mig fraîche, ils les faisaient payer d'avance, se déplaçaient à moto pour venir la chercher, m'amenaient une caisse avec bouteilles vides et repartaient avec une caisse pleine de bière bien fraîche, parfois deux, trois ou quatre caisses après les avoir payées cash.
A tel point que mes réserves de bière fraîche commençaient a devenir insuffisantes.
Mais tout le monde était satisfait : San Miguel car mes achats dépassaient les 50 caisses/semaine, les sari-sari de mon secteur, car ils pouvaient offrir à leurs clients de la bière fraîche sans avoir à investir ni à stocker, et moi car ma marge devenait suffisante pour survivre...
Cela étant, Domy, dans ses billets vous a parlé de l'effet "copier-coller" : tout ce qui marche aux Philippines ne tarde pas à attirer d'autres personnes qui vont copier-coller ce que vous faites, de sorte qu'au bout de quelques temps, plus personne ne gagne de l'argent...
Cela signifie qu'il faut, en permanence, être à l'avance d'une autre idée pour tirer son épingle du jeu.
Personnellement, je n'ai pas eu à connaître des effets de ce copier coller : mon sari-sari store était devenu une usine et j'avais même embauché une jolie filipina pour accueillir et servir les clients, ce qui a été très très apprécié. (il faut garder présent à l'esprit que nous sommes à la campagne, dans un village de pêcheurs et que beaucoup n'ont jamais fréquenté un bar à Cagayan de Oro).
une jolie filipina |
Mais devant le succès de cette entreprise, un jour, les gens de chez San Miguel m'ont contacté : il y avait un bar à reprendre à El Salvador, dans la banlieue de Cagayan de Oro, et ils souhaitaient que je m’intéresse à cette affaire pour la remonter.
Prochains billets : "Beach Haven, mon bar à El Salvador", et un autre sur "la sexualité des filipinas".
Merci Thierry , ce n'est pas si courant que l'Homo-expatrius comme je l'appelle, habituellement plutot individualiste accepte de dévoiler son parcours à la recherche de revenus. Et accepte de se dévoiler tout court. L'Homo-expatrius, dans le cas présent etant craintif du ''copié-collé''et on peut le comprendre.
RépondreSupprimerbravo pour ton parcours et tes initiatives.
RépondreSupprimerIl y a bien le copier/coller mais il y a aussi la jalousie.
Ma belle soeur a ouvert un petit store et est moins cher que ces voisins car elle va faire ses courses 1x/semaine dans la grande ville voisine (2h de route) et forecement, les prix sont plus bas.
Les voisins ne veulent pas copier cette idee car trop epuisant ou parce qu'il faut "mieux" gerer son budget pour prevoir l'achat en une fois. Mais ces chers voisins preferent menacer de représailles si elle continue ! elle vit aussi a Mindanao (Est). Pour l 'instant ce ne sont que des paroles mais elle prend au serieux ces menaces. heureusement que les voisins ont peur de son mari... Certainement pour ca qu'il s'est encore rien passé.
Olivier
Merci Olivier,
SupprimerLa jalousie est malheureusement un défaut humain commun a toutes les ethnies...!
Quant aux philippins, c'est vrai que très peu gèrent : ils vivent dans l'"ici et maintenant" et ne se projettent pas dans le futur.
Ils ont de l'argent dans les mains : ils le dépensent sans projeter que dans 15 jours il faudra payer l’électricité ou d'autres charges... demain est un autre jour...
Je me suis bien amusé en lisant ton recit thierry, qu'il présente bien le quotidien des philippins. J'ai eu l'occasion de vivre ça également et j'avoue c'est tout a fait comme cela que ça se passe. hehehe
RépondreSupprimer