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lundi 15 octobre 2012

Bloqués a l’intérieur par la pression de l'eau...


Elisa me tend un t-shirt et un short (je ne supporte pas de dormir avec des vêtements). Je m'habille en vitesse... ces vêtements seront les deux seules choses qui me resteront après le passage de Sendong.

L'eau, a l’intérieur, nous arrive déjà aux chevilles ! 

Mais a l’extérieur, le niveau de l'eau dépasse un mètre de haut.

Je me précipite dans le bureau pour mettre en hauteur le maximum de choses, notamment, mon ordinateur, tout fraichement acquis.

Ça ne servira, malheureusement a rien, l'eau passera bien au dessus !

Il fait toujours nuit noire, et Elisa et moi, nous dirigeons a tâton vers la porte d’entrée pour sortir de la maison : impossible de sortir, la pression de l'eau a l’extérieur bloque la porte fenêtre.
Nous essayons alors de sortir par la porte de la cuisine, même chose ! 

Elisa se souvient alors qu'elle a laisse mon marteau dans la cuisine.
Elle s'empresse de l'attraper et essaie de briser la serrure de la porte de la cuisine : elle résiste, rien a faire...

Malgré tous ses efforts, impossible de casser la porte en bois...

Après ces essais infructueux, elle me crie : "I don't want to die here !"  Je ne veux pas mourir ici !

A l’intérieur, l'eau nous arrive maintenant presque aux épaules, c'est l'angoisse.

A l’extérieur, le niveau de l'eau est au moins de deux mètres.
Alors, Elisa se précipite sur la porte d’entrée qui est en verre et frappe un grand coup avec le marteau : la vitre explose et l'eau se précipite a l’intérieur : elle doit s'accrocher aux montants de la porte vitrée pour ne pas être repoussée a l'autre bout de la salle !

Quelques gros morceaux de verre, éjectés par la pression de l'eau au moment de l'explosion, vont lui entailler la main et le pied, mais elle ne s'en apercevra que plus tard. Elle n'a rien senti sur le moment.

L'ouverture est suffisante pour passer : elle sort a la nage et je la suis.

Nous nageons ensemble jusqu'au manguier et essayons de grimper le plus haut possible.

Le manguier... A l’époque, le voisin n'avait pas encore
 commencé le rehaussement de sa toiture.
 
Elle grimpe devant moi, mais j'ai du mal a la suivre : je n'ai plus de forces !

Tant bien que mal, nous arrivons presque a la cime de l'arbre.
Elisa me dit : ça n'est pas suffisant, il faut aller sur le toit du voisin... 

Il n'y a pas long a redescendre car le niveau de l'eau est maintenant presque a hauteur du bas de la toiture.

Nous nageons jusqu’au mur de séparation des deux maisons pour rejoindre le toit du voisin.

J'ai du mal a me hisser sur le mur, mes muscles ne répondent plus.

Avec l'aide d'Elisa, je finis par y arriver.

Ensuite monter jusqu'au faitage ne pose pas de difficultés, car ce voisin, qui est aussi mon propriétaire, est en train de faire rehausser sa toiture et toute l'armature métallique est déjà en place : il n'y a qu'a grimper de poutrelle en poutrelle jusqu'au faitage.

de poutrelle en poutrelle jusqu'au faitage

Espérons que la hauteur sera suffisante pour nous protéger : elle le sera, l'eau va monter encore d'un mètre environ, et va ensuite se stabiliser puis commencer a redescendre.

Quand je parle de l'eau, il s'agit en réalité d'un mélange d'eau et de boue provenant du fleuve.

Lorsque nous arrivons au faitage, le voisin, sa femme et sa fille y sont déjà installés... d'autres voisins viendront nous y rejoindre peu après.

La femme est en prières... elle a deux vilaines blessures ouvertes aux bras, son mari est blessé au pied et la blessure saigne abondamment. Ils ont été obligés, eux aussi, d'exploser une porte-fenêtre en verre pour pouvoir sortir de leur maison et les éclats les ont blessés tous les deux.

Préoccupés par notre propre survie, nous n'avons pas eu le temps, encore, d'observer ce qui se passe autour de nous.

Une fois installés sur le faitage, pas question de dormir si on ne veut pas chuter et se retrouver dans l'eau. Nous resterons tous éveillés toute la nuit. 

C'est alors que je commence a regarder et écouter ce qui se passe autour de nous.

Les cris résonnent de partout dans la nuit et j'entends ces cris d'angoisse des enfants piégés par la crue : "help, help..." et pleins d'autres cris en visaya que je ne comprends pas... mais dont je perçois la terreur au plus profond de mon corps.

Je pleure, je n’arrête pas de pleurer... on ne voit rien dans la nuit, mais ces cris explosent  dans mes oreilles, dans ma tête... je ne peux rien faire... beaucoup mourront cette nuit la.

Des coups résonnent aussi de partout de gens enfermés dans leur maison par la pression de l'eau et cherchant a percer leur toiture de l’intérieur pour tenter de s'y réfugier. 

Certains n'y arriveront pas...

Beaucoup, surpris pendant leur sommeil, n'auront même pas le temps d'essayer.

Elisa et moi avons été sauvés par les bouteilles de San Miguel et par le marteau qui trainait dans la cuisine.

Je me suis juré de ne plus jamais râler après Elisa lorsqu'elle ne remet pas en place mes outils après usage.

La nuit la plus longue de ma vie...

Au petit matin, l'eau est suffisamment redescendue pour que nous puissions quitter la toiture et rejoindre le sol : il reste environ 50 cm de boue épaisse et visqueuse. 

Nous redescendons donc prudemment et arrivés au sol, il faut marcher tout doucement pour ne pas tomber et pour éviter de mettre le pied sur des cadavres d'animaux ou objets dangereux dissimulés par la boue. 

Nous rejoignons la maison pour constater les dégâts... 





 

Le beau-frère d'Elisa, venu pour nous aider...




La chambre...avant



....Après


La clim qui m'est tombée sur les pieds

La cuisine et le coin repas, avant...

....Après

......

Les placards sont remplis de boue...

Mon téléphone cellulaire est quelque part ici...

La salle, avant...

.....et après

Les canapés sont gorgés d'eau et de boue
 et l'ossature en bois n'a pas résisté

Il reste encore 20 cm de boue a l’intérieur

Sur le canapé du fond, un tableau de l’école hollandaise
 du XVIIe siècle : peinture sur bois qui ne résistera pas

Mon bureau... avant

......et Après.


L'ordinateur et son écran étaient sur
 l’étagère blanche la plus haute...



Ce qu'on ne voit pas sur ces photos, c'est que les plafonds ne vont pas tarder a s'effondrer, détrempés, sous le poids de la boue  que la crue y a déposé. 

Les blessures d'Elisa sont vilaines et commencent a enfler : pas question de s'attarder a la maison, le plus urgent a faire est de rejoindre l’hôpital le plus proche pour qu'elle reçoive les soins nécessaires.

 A pied et pieds nus tous les deux, les vêtements couverts de boue, nous nous dirigeons vers le  Maria Reyna Hospital... Heureusement pour nous, les secours commencent a patrouiller dans les rues et un véhicule des services de la commune s’arrêtera pour nous prendre en charge et nous amener a l’hôpital.

Une quinzaine de sutures sur la main, autant sur le pied, injections d'antibiotiques et anti-tétaniques...

 

Je suis reste prostré, presqu'une semaine, sous le choc... Et puis, progressivement, la vie a repris ses droits, mais j'entends encore souvent ces cris d'enfants dans la nuit résonnant a la surface de l'eau. 

Avez-vous connu une expérience similaire ? Vos commentaires sont les bienvenus.

                                                                                                     

3 commentaires:

  1. Récit poignant d'une nuit en enfer, je comprends pourquoi Sendong t'as marqué à ce point, vous êtes passés tout près de la mort!

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  2. Je n'ai pas vécu une situation aussi critique pour notre sécurité. Mais lors du fameux typhon MILLENIO, il y a quelques années, je louais un bureau au troisième et dernier étage d' un petit immeuble : le typhon a emporté les fenêtres, qui ont été soufflées avec leur chassis, et qu' on n'a jamais pu retrouver.L'eau de pluie a commencé à s'accumuler dans la pièce, mes ordis, imprimantes et autres ont été noyés, et le pire, c'est que je venais de passer deux mois à traduire deux ouvrages anglais surr l' huile de coco vierge ( 780 pages en tout); ma traduction manuscrite était sagement rangée sur mon bureau, 780 feuilles séparés...attendant d' être tapés sur traitement de texte...
    Tout s'est envolé...j'étais désespéré.
    Et ma tendre et dévouée Liberty a passé trois jours entiers à ratisser les alentours pour retrouver des feuillets détrempés, à l'encre délavée....mais elle a pu récupérer 80% des pages et puis les a séchées avec un sèche cheveux....un boulot de dingue!!!!
    Bref, j'ai appris ce jour là qu' un typhon, cela n'a rien d' une plaisanterie! Et que mon épouse était exceptionnelle ( mais ça je le savais déjà!)

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    1. Merci de ce témoignage et j'imagine sans peine l’étendue du désespoir qui vous étreint a ce moment...de voir des heures et des heures de travail perdues, envolées...

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